lundi 19 mars 2012

Nuit des Temps, LA1 : L'incipit

Un incipit qui intrigue

Observer la graphie : qu'a-t-elle de particulier ?
Italique : est-on déjà dans le roman ? Qui parle ?

Qui parle ? A qui ?
Narrateur interne (« je ») à sa « bien-aimée ».
On ne peut comprendre qui est ce « je » et qui est cette bien-aimée que vers la fin du roman.
Gradation en tout début d'incipit : femme « aimée » mais « abandonnée » de manière désespérée car « perdue ».
=> suscite d'ores et déjà l'interrogation : que s'est-il passé ? Qui est cette femme ? Pourquoi a-t-elle été « abandonnée », « perdue », « laissée » malgré l'amour et la douleur évidente du narrateur (pour la douleur, voir après)?

Quand ?
A la toute fin de l'histoire, lorsque tout est fini, qu'Eléa est morte et la mission détruite.
Justification : « ma perdue » => aucun espoir d'amour ; « je t'ai laissée là-bas » = = référence à l'Antarctique, « au fond du monde » = dans « le Puit » où a eu lieu la réanimation de Coban.

Mais on ne sait rien d'emblée, à la 1ère lecture : on sait seulement qu'il y a un « aujourd'hui » où tout semble avoir changé.

Où ?
A Paris « Aérogare de Paris-Nord » + description de bâtiments / éléments parisiens dans le dernier paragraphe du monologue intérieur : « Défense », « tour Eiffel », « tour Montparnasse », « Sacré coeur », « Courbevoie », « la Seine »

De quoi ?
Difficile retour à la vie normale (description d'un quotidien banal) après un événement visiblement traumatisant.

Opposition entre la familiarité de cet environnement et un malaise concernant le narrateur :
Familiarité = avant
Étrangeté = maintenant
- Champ lexical de la familiarité : « familiers », « si souvent », « qui m'ont nourri », « où a dormi mon enfance », « qui m'a vu grandir, pousser, devenir moi », « c'est mon pays », « connu »
- Chp lex. Des objets du quotidien : « chambre », « vieux lit », « livres », « meubles »
- Possessifs : « ma chambre », « ma place », « mon pays »
- Verbes au passé : « ai posé », « aimaient », « ont nourri », etc.
- Indices temporel du passé : « si souvent », « mon enfance »

- Puis dans le dernier paragraphe du monologue, de nouveau : « ma chambre », « pas reconnue », « nuit », « pas dormi »
- Adjectifs qualifiants le malaise : « étranger », « impossible », « faux ».


- une question rhétorique (=oratoire) « en serai-je capable » = malaise



- démonstratif « ce monde » qui crée de la distance
- Verbe au présent : « me paraît »

- Indice temporel : « aujourd'hui »
Marques de l'opposition : « Et tout ce décor... » = « et » a une valeur d'opposition + « pourtant »

=> forte opposition entre un « avant » et un « après » le départ de cet homme.

Cause : « ce monde qui n'est pas le tien » => l'absence de la femme aimée crée l'étrangeté, le manque. Cf la double négation dans la phrase : « n'est pas » + « n'a jamais » = négatif, le vide, l'absence. Renforcé par « cette nuit » + « en vain » + de nouveau, en fin de monologue, « la nuit », « pas dormi »

Des indices sur ce qui va se passer dans le roman (ce qui s'est passé pour le narrateur)
Répétition de « monde » : « ce monde », « un monde »
Passage au futur + devoir : « va falloir » / « travail » / « capable » comme si le narrateur avait vécu un accident handicapant : « reconnaitre », « réapprendre » + réinsertion dans la société des « hommes » (répétition marquant l'éloignement suggéré de ce monde des « hommes »)
=> hypothèses de lecture : le narrateur a-t-il été éloigné pendant quelque temps du monde des hommes? A-t-il vécu « là-bas au fond du monde » où il n'y a pas d'hommes ?

Retour dans un passé proche : « hier soir » + environnement à la fois banal (« « jet australien », « aérogard de Paris-Nord ») et marquant un événement extraordinaire : « journalistes ».

=> hypothèse de lecture : le narrateur a été le témoin d'un événement extraordinaire sollicitant la curiosité d'une « meute de journalistes » avec accumulations d'objets caractéristiques des journalistes : « leurs micros, leurs caméras, leurs questions inombrables ».

Qui est la femme aimée ?
Elle est connue : « ils te connaissaient tous, ils avaient tous vu... » => répétition de « tous » associé au pronom et aux possessif de la 2ème personne : « te », « tes », « ton » x3
Elle est très belle : « couleur de tes yeux », « ton regard », « formes … de ton visage et de ton corps »
Elle est bouleversante : « bouleversantes », « n'avaient pu t'oublier », « émus », « déchirés »...

La douleur du narrateur :
Ses doutes, ses questions et incertitudes : « En serai-je capable? » + « Que pouvais-je répondre? » + « peut-être était-ce ma propore peine... »
Tellement envahi de douleur qu'il se demande s'il ne projete pas sa « propre peine », sur les autres.
Champ lexical de la douleur : « peine », « blessure », « saignait », « déchirés », « blessés », « je frissonne », « mon sang », « ma chair » => description physique d'une douleur psychologique.
Répétition de l'adverbe « jamais » = insistance sur l'avenir désormais froid et mort du narrateur

Extension de cette douleur non seulement aux journalistes mais également au monde qui l'entoure dans le dernier paragraphe :
ciel « noir » puis « blême », marquant la maladie, l'angoisse
« brume empoisonnée » => annonce de l'empoisonnement d'Eléa et Païkan ?
« fatigue », « exténués » => fatigue de Simon face à cette nouvelle vie sans la femme aimée ?
« fumée noire » + « cri de monstre triste »

Que révèlent les figures de style dans le dernier paragrphe en italique ?
Personnification : « la tour E. et la tour M. enfoncent leurs pieds... » => mise à distance de monuments qui avant étaient familiers et qui maintenant prennent l'apparence de géants, d'étrangers.
Comparaison : « Le S.C. A l'air d'une maquette en plâtre » => il s'agit d'un monde fragile et faux (reprend l'idée de Simon l. 11 : « devenu un monde faux »)
Métaphore : « brume empoisonnée par leurs fatigues d'hier » => monde dangereux, porteur de mort. Référence au futur empoisonnement d'Eléa et Païkan ?
Métaphore (personnification ?): « fumée noire qui essaie de retenir la nuit » => noirceur du monde à l'image du coeur de Simon
Personnification : « un remorqueur pousse son cri de monstre triste » => idem que personnification précédente : un élément jadis banal devient une créature à la fois effrayante (monstre) et triste, à l'image du nouveau monde de Simon.

=> un paragraphe qui montre que Simon voit tout selon son état d'esprit. La ville est désormais étrangère et triste, noire, fausse. Passage presque romantique : la description de l'environnement traduit le coeur de l'homme qui l'observe.


Passage à une graphie normale, narrateur externe (« le Dr Simon »), on comprend que ce monologue intérieur était celui du Dr Simon. On met un nom + un métier sur ce personnage en souffrance.
=> description de Simon : personnage principal du roman ? On commence par une entrée dans ses réflexions puis par une description minutieuse de son apparence.

Ce que révèle cette description :
Sa jeunesse
Son laissé-aller : « pain brûlé », « un peu déformé », « usé », « pieds sont nus », « barbe »
Son intelligence : « son front est large »
Sa douleur : « fragile », « vulnérable », « cicatrisé », « blessure », « profonde ride », « ses paupières sont gonflées »
Son passé proche : « lunettes qu'il a portées pendant l'été polaire »

=> seuls deux personnages sont décrits dans cet incipit : La femme aimée et Simon. La femme aimée apparaît comme une créature hors du commun ; Simon = homme commun => on peut facilement s'identifier à lui.

Dernière phrase : répétition d'une forme négative : « il ne peut plus » (implicite : avant, il pouvait) => marque d'un bouleversement radical dans sa vie. Souffrance qui dépasse les larmes.

Plan possible :

  1. Mise en place des éléments traditionnels de l'intrigue
    1. Le cadre spatio-temporel précis
    2. Un personnage principal bien caractérisé
  2. Un incipit qui suscite des interrogations (ou : un incipit qui sème des indices)
    1. Un système d'oppositions (familiarité / étrangetéi ; ci / ailleurs ; avant / maintenant)
    2. La mise en place d'une tragédie

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